Il serait une fois, dans un futur lointain au-delà, bien au-delà de l’an 2000.
En ce temps-là, les progrès de la science et de l’hygiène seraient tels que maladies et microbes sembleraient éradiqués.
Les hôpitaux se seraient vus obligés de supprimer des lits ; dans certaines chambres individuelles, par exemple il n’y en aurait eu plus que deux ou trois d’occupés. Les salles d’attente des urgences ne déborderaient presque plus dans les couloirs et dehors, il se serait donc avéré nécessaire de réduire encore le personnel et les crédits. Les réserves nationales de masques et de désinfectants ayant atteint la date de péremption auraient alors été détruites, sans nécessité de renouvellement.
Seulement, voilà. Si on avait su ce qu’on savait, si on avait pu prévoir ce qu’on avait prévu, on aurait peut-être su anticiper sur ce qui arriverait.
Le terrible virus serait apparu loin, au-delà de nos frontières. Au début, on aurait prétendu qu’il suffirait de se laver les mains quand on en revenait, puis on ferma les frontières : il serait désormais interdit de revenir de loin sans une excuse valable signée de sa propre main.
L’emploi du conditionnel resterait de rigueur si on parlait de maladie nouvelle. Conditionnel présent, aurait-on dit ; je préférerais que l’on parle ici de conditionnel absent.
Toujours est-il que malgré toutes les précautions qui auraient pu être prises, le mal serait venu, se serait rapidement répandu, faisant de nombreuses victimes et engorgeant les hôpitaux fermés à titre préventif.
L’état d’urgence se serait avéré la solution nécessaire pour éviter que la population ne s’affole pas assez devant le danger. À l’instar des autres pays où elles se seraient avérées inutiles, il aurait été pris des mesures radicales de confinement, d’interdictions de respirer en public et de gagner sa vie normalement.
Ce virus serait tellement nouveau et inattendu que trouver un vaccin ou un antidote relèverait de l’impossible ; en plus, cet improbable remède devrait être testé longuement, plusieurs mois voire des années après sa découverte et avant de pouvoir être mis sur le marché.
Cependant, si par le plus grand des hasards, plusieurs laboratoires pharmaceutiques proposaient des vaccins assez rapidement, les gouvernements annonceraient des vaccinations de masse de plusieurs personnes par jour dans chacune de leurs nations. Voilà comment tout serait arrivé.
Certains pays auraient choisi de vacciner les jeunes : ceux qui travaillent, ceux qui se déplacent, ceux qui pourraient mettre en contact les personnes à risques qui, elles, resteraient confinées.
Mais ce vaccin, créé en quelques mois, testé en quelques jours, ne risquerait-il pas d’avoir des effets secondaires à long terme ? Comment savoir si dans quinze ou vingt ans, les personnes vaccinées ne seraient pas victimes de quelques troubles inattendus ?
En ne vaccinant que les personnes qui présenteraient des comorbidités importantes et dont l’espérance de vie serait très courte, le risque de les voir développer des effets indésirables à long terme serait limité.
Le but ne serait pas de stopper net ni même de freiner un peu la pandémie mais d’éviter l’engorgement des hôpitaux.
Malgré un suivi attentif des vaccinés, on ne déplorerait chez eux aucune pathologie dans les mois qui suivraient les injections et c’est pour cette raison que ça ne sauterait pas tout de suite aux yeux du personnel soignant et des responsables de la traçabilité. Il faudrait beaucoup de temps − quinze, vingt ans, peut-être − pour réaliser les troubles dont seraient victimes les personnes immunisées contre l’abominable virus :
« J’en ai assez d’être enfermé ici ; je suis capable de me débrouiller tout seul ; je veux rentrer à la maison maintenant !
— Mais Pépé, on l’a vendue ta maison ! Il fallait bien payer ta place ici, les droits de succession et tout le reste…
— Vous avez vendu la maison !? Sans me demander mon avis !
— Ça fait longtemps… Tu n’étais plus en état ; et tu n’aurais jamais été d’accord, non ?
Si le vaccin s’était contenté de faire ce pourquoi il était prévu : combattre LE virus… Mais voilà qu’il aurait pris des initiatives ! Il immuniserait aussi contre tous ces petits virus responsables du vieillissement. À long terme, une catastrophe écologico-économique nous attendrait.